Le Shin Ka Tai
UN NOUVEAU STYLE
Attachons-nous aux « Fleurs de notre époque, se plaît à répéter Madame TAJIMA, grand-maître de l’école Senshin-Ikenobo, qui se consacre depuis sa plus tendre enfance à l’Ikebana. Elle est l’instigatrice d’un nouveau style : SHIN KA TAI, fruit et concrétisation de sa très longue expérience de soixante années de pratique. Chaque école en effet se doit d’assurer sa descendance pour préserver les traditions de cet art ancestral. Notre « Iemoto » actuel proche de la retraite passera bientôt le flambeau à son fils, Monsieur SATO YUICHI. A cette occasion, notre Fukuiemoto (bientôt Iemoto), inaugure ce nouveau style que lui offre généreusement Madame Tajima : le SHIN KA TAI. SHIN= le pilier symbolise ici le Ciel, KA = le végétal, Tai : l’origine de la pousse d’une plante symbolise la Terre.
Il en va des cycles et des vagues depuis les temps anciens dans l’Ikebana comme dans tant de domaines artistiques (musique, peinture, etc. …). Ainsi le style épuré du SEIKA ou SHO FU TAI supplante les vieux Rikkas à neuf directions du moyen âge. La notion de Ciel Terre Homme prend déjà toute son importance dans un style à trois directions seules qui comprennent respectivement, le SUJET, L’OBJET, et L’accessoire. Au 20ème Siècle, l’éclosion moderne des styles « Moribana » privilégie de nouveau l’éclatement des trois directions. On assiste alors à la mise en valeur de la globalité du végétal. On évite d’imprimer une contrainte à chaque branche, bien au contraire c’est celle-ci qui, par sar forme naturellement pittoresque, va nous guider pour le bouquet. Les compositions reprennent alors plus d’ampleurs, les vases en forme de bassins s’agrandissent. La notion de Ciel Terre Homme se trouve diluée. Le cycle de transformation des styles ajustés à une époque se répètent finalement avec quelques variations assurant un certain modernisme. Le 21ième siècle succombe sous le poids d’une consommation à outrance. Les végétaux primitifs prisés pour les vieux Rikkas, trésors de notre nature, disparaissent à grande vitesse. L’Ikebana moderne devient le lot des fleurs occidentales cultivées à grande échelle. L’abondance des végétaux utilisés dans les compositions Moribana du siècle précédent avive la conscience exacerbée des maîtres de fleurs. La création d’un style très simple et épuré qu’est le SHIN KA TAI ne correspond-elle pas à la demande de notre temps à venir. : C’est ici dans le bouquet une branche, une fleur, une feuille. Ici le sujet ne prend qu’une direction au lieu de trois, On ne lui attribue qu’un objet, et facultativement un seul accessoire. On ne se tient qu’à deux voire trois variétés végétales. Comme dans la musique de Ravel ou Debussy où un seul son fait vibrer la Musique par exemple, le peu de fleurs employées ici doivent cependant suggérer toute la nature dans sa quasi totalité. La recherche d’une branche pour le sujet importe par son originalité, son côté pittoresque et sa position dans la composition (verticale, en biais, horizontale, ou descendante), sans oublier d’exprimer le plus intensément le caractère intrinsèque de la fleur ou de la plante choisie.
Ce nouveau style peut nous faire découvrir toute la nuance et l’intimité d’une fleur discrète mais bien précieuse comme accessoire. L’invité au spectacle d’une composition si simple, touché par son épure peut se fourvoyer en espérant une imitation aisée. Il n’en n’est rien : la réalisation du bouquet échoue si le côté vivant ne s’exprime pas. Dans ce cas, il ne reste qu’une forme linéaire bien figée où le spectateur n’est pas touché. Le terme japonais NOBIYAKA (l’élan) est une des bases de la pratique comme dans tout art. Hokusai l’illustre si bien en écrivant : « Il m’est arrivé ceci de curieux, c’est que je m’aperçois que mes personnages, mes animaux, mes insectes, mes poissons ont l’air de se sauver du papier »(Hokusai 1812). De même les fleurs du bouquet nous amènent avec le nobiyaka (élan du cœur) vers l’univers infini. La peinture des nymphéas de Monet à l’Orangerie ne nous invite-t-elle pas, au-delà des fleurs, à plonger dans les profondeurs de l’étang. La lumière qui transparait quant à elle nous propulse dans les zones célestes ; cela semble être aussi le but d’une réalisation SHIN KA TAI.